Mariages de « touristes »
Un homme qui est resté à Montréal sous un visa de « touriste » explique pourquoi il a décidé de se marier.
ΕΡ.: Votre femme? Où l’avez-vous rencontrée?
Β.Γ.: Ma femme a une histoire.
ΕΡ.: Racontez-la nous.
Β.Γ.: Ma femme avait deux oncles. L’un s’appelait George, qui était décédé, et l’autre s’appelait Antonis, mort lui aussi. Bref. L’un avait un business avec mon frère, ils avaient un restaurant à Montréal à Laurier, ils avaient acheté un restaurant ensemble. L’autre oncle était dans le bâtiment et on s’est connu à Montréal au New Palace Restaurant, car le restaurant appartenait à des compatriotes et de là on a arrangé un mariage avec ma femme, mais j’avais en tête de rentrer dans mon village et de me marier là-bas, de m’y installer et tout, je disais non, non, non. Je n’ai jamais dit oui. Enfin, un jour il m’a invité à aller à la maison de ma femme. Ma belle-mère et lui étaient frères et sœurs. Nous y sommes allés et il a dit, tu devrais voir la famille, j’imagine, pour voir si elle te plaît, tout ça. Il me bousculait. Je disais non? J’ai vu ma femme, elle était très sérieuse à l’époque, timide, elle était jeune. Elle était femme de ménage à l’hôpital Sainte Mary’s depuis ses 14 ans. Oui, j’ai entendu que quand elle est arrivée elles ne voulaient pas l’embaucher les… les nonnes qui travaillaient là-bas, qui dirigeaient, les directrices et tout. Elle y allait tôt le matin et se tenait près de la porte et leur disait qu’elles devaient l’embaucher, qu’elle pouvait faire le même travail que les autres et comme elle est venue et a attendu tant de fois, elles l’ont embauchée. On parle maintenant de… Bref. Ça faisait six mois que je l’avais vue pour la première fois. Pour être honnête, quand je l’ai épousée, j’ai fait confiance au hasard, mon histoire est très rare et on disait avec le gars avec qui j’avais le restaurant, le fast-food à Frontenac. Je lui dis, son nom était Chronis, je lui dis : « Chronis, écoute, je ne peux pas rester plus longtemps, on ne me renouvelle pas mon visa de touriste, je dois partir et disparaître, aller dans un autre état, je dois rentrer en Grèce, le seul recours est de me marier et tous ces problèmes seront derrière moi ». Pendant ce temps, je m’étais fait des amis là-bas, je m’étais habitué, j’avais frère Chalkias qui venait de Carpathos, père Chalkias qui était à la Sainte Trinité et il m’avait promis, il me disait qu’il allait m’aider, que je devais ne pas désespérer, que j’allais rester chez lui, et qu’il allait m’envoyer quelque part où on allait s’occuper de moi, bien sûr il s’agit de choses dont je parlais car j’avais toute ma vie ici. En effet, pour me marier, il m’a envoyé chez un homme qui avait le club Acropol. Son nom était Elias Papadopoulos et j’ai dû payer deux milles dollars, pour qu’il envoie le passeport à Ottawa, pour que le gouvernement le scelle de là-bas et le renvoie. Après, des deux milles dollars que j’ai payé, je ne sais pas où ils sont allés. Est-ce qu’il a tout gardé ? Est-ce qu’il partageait avec d’autres personnes ? Je ne sais pas.
ΕΡ.: Je ne comprends pas très bien. Pourquoi avez-vous donné deux milles dollars ?
Β.Γ.: Pour qu’on s’occupe de moi, pour me donner un visa. Pour me mettre, il m’a donné un passeport, mon passeport était un passeport de touriste, donc il m’a donné un visa pour que je puisse rester au Canada indéfiniment, mais tout ça c’était des magouilles.
ΕΡ.: Des magouilles?
Β.Γ.: Des magouilles. Ce n’était pas des choses réglos. Parce que c’est arrivé après que je lui ai donné mon passeport après un temps, peut-être parce qu’il m’a dit que ça prendrait deux ou trois semaines pour que le passeport arrive de Ottawa et que tout irait bien. Je l’ai cru, le père m’a envoyé là-bas, après le père ne savait pas forcément qu’il y avait des magouilles, il pensait peut être vraiment qu’il y avait un moyen pour s’occuper des immigrants illégaux et des touristes. Mais ce n’était pas le cas. C’est arrivé pendant la deuxième semaine après que j’avais amené mon passeport à Papadopoulos, qui s’occupait de moi et qui avait mis un sceau de l’immigration sur le visa, disant que j’étais au Canada et que j’avais reçu un visa, un de mes amis qui avait fait la même chose s’est fait prendre. Il travaillait au marché au poisson et souvent nous nous donnions rendez-vous au billard de l’avenue du Parc et Bernard, on se voyait au restaurant Alsis, parfois au restaurant Palace, et un jour je ne l’ai pas trouvé, je l’ai cherché. Son nom était Alexis. Je demandais aux autres: « que s’est-il passé? ». Est-ce qu’Alexis est passé par ici? Et un homme me répond qu’il a été menotté et renvoyé en Grèce. Je lui demande pourquoi. Il me répond qu’il a été attrapé par l’immigration. Mais je réponds qu’on s’occupait de lui, que Papadopoulos s’occupait de lui, alors pourquoi est-ce arrivé ? Il me répondit que le sceau que Papadopoulos avait mis n’était pas un sceau, c’était quelque chose que je ne connaissais pas. Il l’avait volé à l’immigration et l’avait fait lui-même. Ce que c’était, je l’ignore encore. Je n’ai pas pu savoir. Je suis donc parti et je suis allé voir Papadopoulos au club et lui ai dit que je voulais récupérer mon passeport et mille euros, parce que je lui avais donné mon passeport ainsi que mille dollars et que quand je récupèrerai mon passeport deux à trois semaines plus tard, je lui donnerai encore mille dollars et je pensais que tout se passerait bien et qu’il n’aurait pas de soucis, mais le problème était très important. J’avais de la chance parce qu’ils ont attrapé un gars que je connaissais, on était devenu amis et donc je ne croyais pas que ce que Papadopoulos faisait pour moi était vrai et je suis reparti, je lui ai dit que je voulais mon passeport et mes mille dollars. Il me répondit que mon passeport était à Ottawa et que ça allait prendre une semaine pour que je le récupère et qu’il n’avait donc rien à me rendre. Je me suis vraiment énervé parce que j’ai compris que c’était une arnaque et lui ai demandé gentiment : « s’il te plaît rend moi mon passeport, parce que je ne vais pas partir d’ici sans que tu me rendes mon passeport et mon argent. » Je lui ai dit que je n’avais pas beaucoup d’argent. Je suis venu ici, j’essaye de gagner ma vie, je travaille pendant de longues heures et je souffre. Bref. Il ne me le donnait pas. Pendant un moment je me suis énervé et je lui ai dit que j’allais aller en bas à la cabine, il y avait une cabine téléphonique là-bas. Que j’allais appeler la police, que la police allait venir ici et que j’allais récupérer mon passeport, je m’en moquais maintenant, lui disais-je, j’avais décidé de rentrer en Grèce mais qu’avant il allait me rentre mon passeport et mon argent et comme il a vu que j’étais énervé et que je commençais à descendre les escaliers en courant, il m’a dit : « Tu es fou, viens ici ! ». Je suis retourné sur mes pas et il m’a rendu mon passeport avec les milles euros que je lui avais donné l’intérieur. Il me l’a rendu. Je lui ai pris. Après, on a vu ma femme et mon oncle, et il est devenu mon oncle à l’époque, au début il n’était pas mon oncle, on était juste amis. On s’est vus une fois de plus au restaurant de mon frère et de mon oncle Antonis. Ils avaient ensemble un restaurant à Laurier et de là on a fait connaissance et on a discuté, je lui a dit : « écoute, je suis ici de cette manière », la vérité est que je ne voulais pas me marier ici, mais comme je m’étais habitué à l’endroit, j’ai commencé à m’y plaire, et j’avais un futur et, vous savez, j’avais toujours en tête de créer mon propre business, je ne voulais pas être ouvrier, parce que partout où je travaillais, je travaillais de longues heures et ma paie n’était pas si bonne. Bref, je me suis assis, j’ai parlé pendant un moment avec ma femme, après environ une heure elle me dit : « écoute je ne veux pas me mettre avec quelqu’un puis avoir des problèmes demain puisque tu es ici sur un visa de touriste et George tu voudrais peut être… » et ce que je ne t’ai pas dit, c’est que j’ai été baptisé sous le nom de Basile, mais je suis tombé malade quand j’étais enfant et ma mère m’a fait une promesse, elle m’a dédié à Saint Georges, je me suis rétablit et j’ai une marque ici, mais si vous ne m’appelez pas Georges je ne répondrai pas, alors que sur le papier je m’appelle Basile. Enfin, c’est une histoire d’enfant bien sûr. Donc, s’est mis d’accord avec ma femme et j’ai vu qu’elle était en effet une femme intelligente et sérieuse et quand je suis retourné le soir au restaurant que je gérais, que mon frère m’avait laissé, j’ai vu l’autre gars avec qui j’avais le restaurant, qui était un immigrant illégal venant des bateaux. Il avait déserté les navires.
ΕΡ.: Il s’est enfui.
Β.Γ.: Il n’avait pas de visa non plus. Ceci dit, on avait un magasin, qu’on pouvait perdre d’une minute à l’autre mais Dieu merci, comme les gens étaient si gentils à l’époque, car maintenant les choses sont différentes, on a reçu un permis de travail, une assurance santé, on a passé des examens et on a eu notre permis de conduire, donc, on ne manquait de rien. J’ai vu qu’en effet la vie était belle ici, pas comme sur l’île Karpathos. Bref, j’ai sorti une pièce de ma poche et j’ai dit: « Chronis, si je tire à pile ou face, je n’ai pas encore dit à ma femme si je veux me marier avec elle, si je la lance et si ça tombe sur face je vais appeler ma femme maintenant et lui dire qu’on va se marier. Sinon, je vais faire ma valise demain, aller à l’immigration et leur dire que je repars en Grèce. Je ne gagne ni ne perds. Je n’ai rien perdu, je n’ai rien amené ici. Je suis venu avec une paire de jeans, une veste en jean et une paire de chaussures de course. J’ai donc tiré à pile ou face et les autres gars m’ont dit, Es-tu fou ? C’est comme ça que tu joues avec ta vie? Tu joues ta vie à pile ou face ? La femme, si tu l’épouses, tu vas devoir vivre avec elle toujours, pendant le reste de ta vie. Je lui ai dit que je le sentais comme ça, que c’est ce que je voulais faire, parce que j’étais un peu confus, je ne savais pas quoi faire exactement, je n’étais pas sûr parce que je ne voulais pas rester juste ici. Mais comme finalement c’est tombé sur face, le côté chanceux, j’ai donné mon accord, on s’est marié dans les deux semaines qui ont suivi. Parce que la date limite que m’avais donné l’immigration arrivait et je devais faire ce que devais faire pour partir ou rester parce qu’ils ne pouvaient pas renouveler mon permis. Je me souviens de la dernière fois où je suis allé à l’immigration j’étais face à un français qui m’a dit : « Je vous donne trois jours pour partir. Ne revenez plus ici ». Il s’asseyait puis se levait et se rasseyait. Il se levait et s’asseyait à cause de sa colère. Il a dit : « Je ne veux pas vous revoir ici, vous allez prendre vos valises et retourner tout de suite en Grèce. Vous êtes resté quatorze mois. Assez! ». Comme j’ai vu que ça ne pouvait pas durer plus longtemps, je devais faire quelque chose pour partir ou rester et c’est ce qui s’est passé.